Un dossier spécial IRIN sur l’invasion des criquets pèlerins

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Jeudi 17 février 2005
 

Le Grand Festin
Un dossier spécial IRIN sur l’invasion des criquets pèlerins


Thill Peulh, un village sénégalais seul contre les criquets

Essaim de criquets pèlerins au nord du Sénégal
Credit: IRIN

Thill Peulh est un village du nord du Sénégal, à quelques 100 Km de la capitale, Dakar. Des champs sablonneux de culture maraîchère, de millet et de manioc l'entourent à perte de vue, parsemés d'énormes baobabs gris et secs. Quelques dizaines de huttes et d'enclos à bétail constituent ce hameau paisible, où les cultures sont l'unique source de subsistance.

En temps normal, à Thill Peulh, les voisins s'entraident à l'approche des récoltes de novembre. Mais cette année, ce ne sera pas nécessaire. Il n'y aura pas de récolte.

Les villageois n'ont pas les moyens de faire face aux criquets pèlerins, qui se sont reproduits par milliards, détruisant les cultures en Mauritanie. Ils ont franchi la frontière et envahi le Sénégal dès le mois d'août, à quelques semaines seulement des moissons.


Les villageois de Thill Peulh tentent en vain de chasser les criquets posés dans leurs champs
Credit: IRIN

Aujourd'hui, le 3 octobre 2004, le village est sous le coup d'un véritable déluge: un essaim de criquets ailés immatures s'est abattu sur l'agglomération en début de matinée, dévorant ce qu'il reste de champs ravagés. Le sol fourmille d'insectes, et de véritables nuages roses et silencieux continuent de se poser sur ce qu'il reste des cultures.

Marie Diop, mère de trois enfants et résidente de Thill Peulh, traverse son champ de long en large, prise dans un tourbillon d'insectes roses. Elle frappe une marmite à l'aide d'une cuillère en bois, dans l'espoir futile que le bruit les fera fuir. Tout feuillage, herbe, pousse ou fleur a déjà été dévoré par les criquets pèlerins qui, par milliers, rongent quelques rares restes de melons. Ce qui était encore un champ il y a un mois ressemble maintenant à une plage de sable fin, parcourue de racines.


Un essaim de faible densité dans un champ de melons
Credit: IRIN

Face à l'ampleur des essaims qui se sont répandus sur le Sénégal et une bonne partie de l'Afrique de l'Ouest cet été, les méthodes traditionnelles de lutte contre les acridiens (autre nom du criquet pèlerin) des paysans sont insignifiantes. Des essaims de plus de 70 Km de long ont été relevés. Les méthodes ancestrales sont inadaptées au péril.

Au bout de quelques minutes de cacophonie soutenue mais superflue, Marie pose sa marmite. Elle s'assied à même le sol, et partage d'un air las l'un des maigres melons mûrs avec ses trois jeunes enfants. Les autres ne pousseront plus. « Cela fait trois semaines que ça dure, ça doit être la dixième fois qu'ils se posent sur ce champ depuis qu'ils sont arrivés » soupire-t-elle.


pneu incendié dans l'espoir d'enfumer les criquets
Credit: IRIN

Marie explique : « D'habitude nous les « applaudissons » à coups de casseroles, pour les faire fuir, mais là il y en a trop, ça ne sert à rien ». Autrefois, on utilisait des tambours. Mais cette méthode traditionnelle est impuissante face à une catastrophe qui expose des millions d'Africains de l'Ouest à une crise alimentaire sévère.

Une autre méthode traditionnelle consiste à brûler des pneus, dans l'espoir que l'épaisse fumée noire fasse fuir les insectes. Mais la faible brise matinale suffit à dissiper les volutes avant qu'elles n'enfument les criquets au sol. La manœuvre est futile.


Criquet pèlerin adulte
Credit: IRIN

Djiby Top est manœuvre dans une exploitation de maïs et de petits piments sénégalais, les fameux « kani » rouges, proche de la ville de Richard Toll, à la frontière sahélienne du Sénégal et de la Mauritanie. « Les essaims se sont posés plusieurs fois ici, et nous avons passé des heures dans les champs à agiter des drapeaux pour les effrayer. Mais il sont trop nombreux, ils ont a moitié dévoré les plantes » indique-t-il, montrant ce qu'il reste d'une feuille de maïs dévorée jusqu'à la nervure centrale.

Si la plantation sur laquelle Djiby travaille a été partiellement épargnée, c'est parce que « les propriétaires et les exploitants se sont cotisés pour acheter du pesticide et vaporiser leurs champs », indique-t-il. « Mais on manque d'équipement » regrette-t-il en haussant les épaules. Le propriétaire a donc signalé l'essaim à la Direction du Développement Rural, qui a envoyé des éradicateurs de l'armée équipés de pulvérisateurs portables.


Un enfant de Thill Peulh traverse le village
Credit: IRIN

Malgré ces interventions, la récolte sera maigre. Paradoxalement, les bonnes pluies enregistrées cette année favorisent également la pullulation des criquets pèlerins. Les récoltes auraient été exceptionnelles, sans les acridiens…

Seules les larves de criquets sont véritablement susceptibles d'être combattues sans pesticide. Les criquets demeurent au stade larvaire, c'est-à-dire dépourvus d'ailes et incapable de voler, pendant les 25 à 50 premiers jours de leur développement, selon le climat. Il est alors possible de creuser des tranchées afin d'y enterrer les bandes larvaires, véritables tapis mouvants d'insectes jaunes, qui se déplacent tous dans une direction unique.


Des agriculteurs observent ce qu'il reste de leur champ
Credit: IRIN

Selon Moussa Niang, responsable du Programme Intégré de Podor (PIP) qui forme des sensibilisateurs au péril acridien, les réactions de la population sont ambivalentes. « Il est absolument nécessaire que les gens comprennent le danger que posent les criquets, afin d'aider dans les efforts de prospection ». Mais les sensibilisateurs déployés par le PIP peinent parfois à convaincre les villageois du danger. Certains anciens ont vu des criquets pour la dernière fois en 1989, et dans des proportions qui n'avoisinaient pas l'ampleur de la crise actuelle.


Brochure de sensibilisation aux dangers des pesticides en langue puula.
Credit: IRIN

Les ateliers de sensibilisation sont parfois contre-productifs. « Nous expliquons la toxicité des pesticides utilisés, et comment s'en prémunir, par exemple en ne faisant pas paître les animaux dans un champ vaporisé pendant deux à trois jours, pour éviter leur empoisonnement », explique Niang. En conséquence, certains éleveurs ne signalent pas les essaims qu'ils repèrent, de peur que leurs pâturages soient contaminés.

Bien sur, les criquets dévoreront les pâturages en question. « Mais les gens ne raisonnent qu'en termes immédiats » explique Niang. C'est pourquoi le PIP distribue une brochure d'information contenant textes et images (pour les analphabètes) expliquant le péril acridien, et les moyens de le combattre.

« Car si il y a une famine, les paysans sont les premiers concernés; les autorités, elles, sont à l'aise, elles mangent importé...» ajoute-t-il, avant de conclure : « l'état a réagi sans associer les populations. Dès le début, la démarche était faussée ».

[FIN]

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Introduction
   Le Grand Festin 5.4MB
   Le Grand Festin: le documentaire (16:13)
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