SÉNÉGAL: Sortir de l’anonymat pour aider les femmes séropositives
[ This report does not necessarily reflect the views of the United Nations]
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Dans cette société sénégalaise phallocrate, les femmes, dont 78 pour cent sont analphabètes, n’ont pas voix au chapitre
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DAKAR, 8 mars 2005 (PLUSNEWS) - Confinées dans l’anonymat par peur de la stigmatisation, les femmes vivant avec le VIH/SIDA au Sénégal sont conscientes que lutter efficacement contre le virus implique de se faire connaître, mais elles hésitent encore à franchir le pas.
«Mon mari ne veut pas que je témoigne publiquement et je n’ai personne d’autre pour m’aider», a expliqué, sous couvert d’anonymat, la présidente de l’association des femmes vivant avec le VIH/SIDA au Sénégal. «Il faut que je réfléchisse à deux fois avant de me dévoiler».
Le nombre de femmes infectées dans le pays est estimé à 45 200, selon l’étude sentinelle publiée en août 2004 par le Conseil national de lutte contre le sida (CNLS).
Pourtant, l’unique association sénégalaise de femmes vivant avec le VIH/SIDA, fondée en juin 2001, ne compte que 150 membres. Rares sont celles qui acceptent de témoigner.
«Nous savons que la lutte serait plus efficace si nous pouvions nous faire connaître», a reconnu la présidente de l’association. «Les acteurs de la lutte contre le sida peuvent nous comprendre, mais ce n’est pas encore le cas de nos familles».
«Les femmes atteintes du VIH/SIDA sont plus facilement montrées du doigt que les hommes à cause du rôle de mère, d’épouse et de ménagère qu’elles ont au sein de la famille», a dit à PlusNews Seynabou Mbodj, la porte parole de la branche sénégalaise de l’Alliance internationale VIH/SIDA (ANCS).
«Elles sont critiquées lorsqu’elles réduisent leur volume de travail domestique ou prennent fréquemment des médicaments», a-t-elle dit.
«Les femmes refusent souvent de venir au centre se faire dépister ou suivre un traitement», a constaté le docteur Ngagne Mbaye, coordinateur d’un centre de dépistage volontaire et anonyme dans la banlieue de la capitale, Dakar. «Elles préfèrent se cacher pour mourir».
Les femmes n’ont pas toujours conscience de leur degré de vulnérabilité et ne sont pas assez informées des risques d’infection et de propagation du VIH/SIDA, a avancé Mbodj pour expliquer le peu d’implication des femmes dans les mouvements associatifs de lutte contre l’épidémie.
«Dans les marchés hebdomadaires, des femmes acceptent de coucher avec des hommes moyennant de l’argent ou des condiments, elles ne se rendent même pas compte qu’elles sont vulnérables», a-t-elle dit.
Un rapport publié par le Fonds des Nations Unies pour les femmes (Unifem) en 2002 sur la vulnérabilité des femmes face au VIH/SIDA souligne qu’au Sénégal certaines pratiques, telles que la scarification, le tatouage ou le rajout de mèches artificielles, communément appelé greffage, exposent davantage les femmes à l’infection.
Des pratiques dangereuses, liées aux traditions
Par ailleurs, note le rapport, la mutilation génitale des jeunes filles se pratique toujours dans certaines régions du pays. Toutes ces pratiques font appel à l’utilisation de lames, d’aiguilles, de ciseaux ou de couteaux, susceptibles de propager le virus s’ils ne sont pas correctement désinfectés.
De nombreuses jeunes femmes sont encore aujourd’hui enrôlées dans des mariages précoces ou forcés. Au Sénégal, l’âge moyen du mariage est de 17 ans et l’âge de la première maternité est de 19 ans et demi. Selon l’Unifem, c’est une des raisons pour laquelle les femmes sont infectées beaucoup plus tôt que les hommes.
«A cet âge, les mécanismes de défense locaux contre les infections génitales sont immatures», a souligné l’Unifem.
Le lévirat et le sororat sont des pratiques encore courantes dans certaines localités du pays. Dans cette société phallocrate, les femmes, dont 78 pour cent sont analphabètes, n’ont pas voix au chapitre, a avancé Mbodj.
«Il arrive souvent qu’une femme épouse le mari de sa défunte sœur, ou qu’un homme prenne comme épouse la veuve de son frère», a-t-elle expliqué. «Si ces personnes sont mortes du sida, la chaîne de transmission du virus s’allonge».
En outre, a ajouté la présidente des femmes séropositives, les travailleuses du sexe ont tendance à accepter des relations non protégées afin de gagner plus d’argent.
«Les travailleuses du sexe membres de l’association rapportent qu’on leur propose deux fois plus d’argent pour des rapports sans préservatifs», a-t-elle précisé. «Elles sont du coup doublement exposées, puisqu’elles sont femmes et démunies».
Le rapport de l’Unifem avance que la prostitution clandestine se développe parce que les femmes n’ont pas facilement accès au crédit alors qu’elles dirigent 24,5 pour cent des foyers sénégalais.
«Comme la pauvreté, le VIH/SIDA aussi s’est féminisé», a déploré Adama Seck, la présidente de l’association sénégalaise Alliance pour la solidarité et la paix.
Pour limiter la dépendance financière des femmes vivant avec le VIH, la présidente de l’association des femmes vivant avec le VIH a demandé qu’elles puissent avoir accès à des postes et des revenus fixes dans les ONG de lutte contre l’épidémie.
«Nous sommes prêtes à offrir nos services et assurer l’entretien des locaux des ONG. Mais jusqu’ici nous n’avons pas eu de réponse satisfaisante», a-t-elle dit.
Entre 2002 et 2004, le réseau Siggil Jiggen (Fières d’être femmes en wolof, la langue locale), composé de18 associations, a collaboré avec l’ANCS et l’Unifem pour sensibiliser environ 20 000 femmes sur la prévention et la prise en charge psychosociale des personnes vivant avec le VIH, a dit Seck, également membre du réseau.
Cependant Seck déplore l’absence d’une stratégie visant spécifiquement les femmes. «On devrait renforcer les capacités des acteurs : il faut que ceux qui doivent agir sachent quoi faire», a-t-il dit.
Les traitements antirétroviraux (ARV) sont gratuits au Sénégal depuis l’année dernière, mais les médicaments contre les infections opportunistes restent payants, a souligné Seck. La plupart des femmes dépendent d’un mari qui dans certains cas est lui même infecté, ou a déjà succombé à la maladie.
«Les femmes sont confrontées à des problèmes de survie. On a mis des moyens pour prévenir l’épidémie, il faut en mettre autant pour la prise en charge des femmes vivant avec le VIH», a plaidé Seck.
Le taux de prévalence au Sénégal est d’environ un et demi pour cent, selon le CNLS. Ce taux, relativement faible pour l’Afrique de l’ouest, est attribué à la réaction rapide des autorités dès les débuts de l’épidémie. Plus de la moitié des adultes infectés par le virus sont des femmes.
Pour atteindre l’objectif d’une prévalence du VIH inférieure à trois pour cent de la population, tel que fixé dans le plan national stratégique 2002-2006, le Sénégal doit repenser sa stratégie concernant les femmes séropositives, selon Seck.
«Il faut repenser les stratégies d’intervention dans la lutte contre le sida mais aussi encourager les initiatives des femmes de manière vraiment prioritaire», a-t-elle estimé.
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