«Je préfère sauver des travailleurs que de gagner un salaire»

SÉNÉGAL: «Je préfère sauver des travailleurs que de gagner un salaire»


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DAKAR, 21 mars 2005 (PLUSNEWS) - Lorsqu’il a su qu’il était séropositif, il y a près de 15 ans, Limamou s’est volontairement arrêté de travailler pour se consacrer à la lutte contre le VIH/SIDA dans le monde de l’entreprise.

Limamou, qui préfère témoigner sous un nom d’emprunt, a appris sa séropositivité en 1991. «J’avais 21 ans et je travaillais dans une entreprise qui s’était créée un an auparavant», se souvient-il. «Je tombais malade régulièrement. Au bout de deux ans, un médecin m’a dit que j’étais séropositif».

Ce médecin lui conseille de s’adresser au Centre de traitement ambulatoire (CTA), un centre géré par la Croix Rouge et spécialisé dans le dépistage, le conseil et la prise en charge thérapeutique, psychologique et nutritionnelle des personnes vivant avec le VIH/SIDA.

«Quand j’ai su que j’étais infecté, je suis parti de mon plein gré», raconte Limamou, qui avoue avoir eu peur de la réaction de ses collègues. «Pourtant l’entreprise m’a toujours aidé à me procurer des médicaments quand je tombais malade".

Les médecins du CTA, situé au cœur de l’hôpital de Dakar-Fann, dans la capitale sénégalaise, ont proposé à Limamou de participer à un programme d’essai clinique pour des antirétroviraux.

«Je me rendais au centre pour recevoir des médicaments dont je ne connaissais même pas les composantes», se souvient Limamou. «Je ne payais pas les bilans médicaux ou les radios qui à l’époque coûtaient très cher. S’il n’y avait pas eu ce programme, je ne serais peut être plus en vie aujourd’hui», estime-t-il.

A peine se sent-il un peu mieux qu’il recommence à travailler, mais dans une autre société et comme journalier. «Le travail était dur», se rappelle-t-il. «Je soulevais des pneus, de très lourdes barres de fer. Le travail m’a vite fatigué alors j’ai arrêté».

Il dit que cette société ne l’a jamais aidé. «En tant que journalier, je ne connaissais même pas le chef d’entreprise».

Au CTA où il travaille depuis 1999 comme conseiller, Limamou accueille souvent des travailleurs qui, de peur d’être stigmatisés, viennent suivre un traitement au centre plutôt que dans leur entreprise, même si celle-ci développe un programme de prévention et de sensibilisation au VIH.

Quelle confidentialité au sein de l’entreprise ?

La confidentialité n’est pas toujours respectée au sein de l’entreprise, note Limamou, pour qui cela constitue un obstacle majeur à l’identification et la prise en charge des personnes séropositives.

«Une femme a vu son enfant expulsé de son école parce qu’il a été établi que sa maman avait le sida. L’information venait de l’entreprise», raconte-t-il.

Une charte de l’entreprise a été adoptée en décembre 2003 au Sénégal. Signée par 55 entreprises sur les 700 qui sont membres du Conseil national du patronat (CNP), cette charte doit permettre d’assurer la sensibilisation et la prise en charge des travailleurs vivant avec le VIH.

Elle impose à l’entreprise signataire le respect des principes de non discrimination et de non stigmatisation, de la confidentialité et des droits fondamentaux du travailleur.

«Peut être que d’autres gens ont accès aux dossiers», avance Limamou. «De toute façon, si les travailleurs sont mis à part, leurs collègues peuvent se poser des questions. L’être humain est très curieux ».

Limamou participe aux campagnes de sensibilisation pour «faire aussi du plaidoyer pour tous ceux qui n’ont pas le courage de parler», dit-il.

Sur son 31 dans une chemise à rayures et un pantalon vert foncé, Limamou parle librement de sa séropositivité.

«Je sais que je suis infecté par le virus mais je n’aimerais pas que les gens que je rencontre chaque jour le soient aussi», explique-t-il. «C’est ce qui m’encourage à témoigner publiquement lors des séances de sensibilisation dans les entreprises».

La charte de l’entreprise contre le VIH/SIDA s’intéresse aux salariés et non aux journaliers ou aux contractuels qui ne travaillent qu’épisodiquement dans l’entreprise. Cette catégorie d’employés n’est pas prise en charge par le patronat, précise Limamou.

«Pourtant sans cette couche de travailleurs que sont les journaliers, aucune entreprise sénégalaise ne pourrait fonctionner. Il faut que l’on trouve un moyen de les intégrer dans les campagnes de sensibilisation des entreprises», estime-t-il.

Limamou se souvient du cas d’un journalier, aujourd’hui décédé, qui s’est retrouvé totalement démuni après avoir perdu son emploi pour cause de séropositivité.

«Ses enfants sont restés longtemps sans aller à l’école parce qu’il ne pouvait plus payer les frais de scolarité», raconte-t-il. «Aujourd’hui, nous avons payé les frais de scolarité des enfants pour cette année scolaire grâce à un programme d’aide aux personnes vivant avec le VIH. Et nous avons trouvé un emploi de ménagère pour sa femme.»

Limamou aussi est passé par des périodes difficiles, notamment avant l’arrivée des médicaments antirétroviraux (ARV). «C’était la traversée du désert… J’avais perdu beaucoup de poids et les gens me montraient du doigt».

En 1998, les premiers ARV étaient chers et Limamou a eu du mal à se les procurer. «Les médicaments coutaient 21 000 francs CFA (42 dollars) par mois et je ne pouvais pas trouver l’argent», raconte-t-il. «C’est alors que j’ai révélé mon statut à mon grand frère qui m’a aidé».

L’entreprise comme une grande famille

Quand son frère a commencé à l’assister financièrement pour l’achat de médicaments, le reste de la famille s’est posé des questions, se souvient Limamou. Il a alors décidé de tous les réunir et de leur révéler sa séropositivité.

«Trois jours plus tard, tous les membres de ma famille vivant au Sénégal étaient au courant», constate-t-il.

Limamou affirme bien vivre sa séropositivité, qui considère identique à n’importe quelle autre maladie. Cela l’a encouragé à s’accrocher à la vie.

Il a versé ses premières larmes après que sa tante lui ait parlé : «tu ne peux pas vivre chez nous avec cette maladie, tiens-toi loin d’ici» m’a dit, mot pour mot, ma tante», se rappelle-t-il.

Limamou raconte qu’il a alors couru vers le portail pour s’enfuir mais son grand frère l’a retenu par la manche et lui a dit : «Si la maladie doit me tuer parce que je mange dans le même bol que toi alors elle me tuera. Jamais je ne te laisserai tomber».

«J’aurais commis le pire si mon grand frère ne m’avait pas retenu», raconte-t-il avec beaucoup d’émotion. «J’entends toujours ses paroles fraternelles.»

Limamou dit qu’il n’en veut pas à sa tante : elle a agi par ignorance. «Pour beaucoup de gens, être infecté rime avec prostitution, homosexualité et mœurs légères», constate Limamou, qui insiste sur l’importance de la sensibilisation comme moyen de faire reculer la stigmatisation.

«C’est la raison pour laquelle je me suis engagé dans cette lutte», réitère-t-il. «Je préfère sensibiliser les travailleurs et sauver des vies plutôt que de gagner dans une entreprise un salaire qui ne profitera qu’à moi seul».

Limamou parle publiquement aux travailleurs mais il insiste pour préserver son anonymat. «C’est à cause de mon épouse», explique-t-il. «Ses parents ne veulent pas qu’on me reconnaisse».

Il s’est marié l’année dernière ; elle aussi est séropositive. «Ça a toujours été mon rêve, avoir une femme et des enfants, même avant d’être infecté au VIH. D’ailleurs, mes amis disent que je ne serais peut être pas infecté si je m’étais marié à l’époque», dit-il.

«Je réponds toujours que des gens mariés aussi attrapent le virus».

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