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Vendredi 15 décembre 2006
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AFRIQUE DU SUD: Un petite clinique au centre du débat sur la médecine traditionnelle


[Cet article ne représente pas le point de vue des Nations Unies]



©  PlusNews

Environ 70 pour cent des Sud-Africains consultent régulièrement des tradipraticiens

DURBAN, 3 mai (PLUSNEWS) - Ces derniers mois, des centaines de personnes se sont rendues à Pinetown, une ville industrielle de la banlieue de Durban, à la recherche d’une clinique qui vend de l’ubhejane – un mélange d’herbes censé soigner le VIH/SIDA.

La controverse autour de la médecine traditionnelle a été largement couverte par les media en raison du soutien qu’elle a reçu de la part d’influentes personnalités politiques comme la ministre sud-africaine de la Santé, le docteur Manto Tshabalala-Msimang, et des responsables sanitaires de la province de KwaZulu-Natal.

D’après certaines sources, le docteur Manto Tshabalala-Msimang et Peggy Nkonyeni, la ministre de la Santé de la province de KwaZulu-Natal, auraient conseillé à la directrice de l’hôpital de Durban, dans l’est de l’Afrique du Sud, de prescrire de l’ubhejane à ses patients.

Obed Mlaba, le maire de Durban, a également reconnu les bienfaits du remède à base d’herbes et finance la distribution de l’ubhejane dans un hôpital rural à Inchanga, un village situé à environ 40 km de Durban.

Cependant, l’ubhejane, un liquide marron vendu dans des vieilles bouteilles de lait en plastique, n’a pas encore subi les tests cliniques visant à prouver son efficacité.

Pour l’instant, l’école de médecine de l’université de KwaZulu Natal (UKZN) a uniquement réussi à prouver que la mixture n’était pas toxique.

Malgré sa mauvaise presse, la population de la province de KwaZulu-Natal semble être prête à reconnaître l’efficacité de l’ubhejane, ce qui alarme les activistes qui craignent que la position de l’Etat vis-à-vis de ce produit ait des conséquences néfastes sur la distribution des antirétroviraux (ARV) – les médicaments classiques qui prolongent l’espérance de vie des personnes séropositives.

Alors que le gouvernement distribue gratuitement des ARV depuis 2003, le traitement à base d’herbes coûte 374 rands (62,8 dollars américains), dans un pays où le salaire moyen est d’environ 250 dollars américains.

Seuls 100 000 Sud-Africains suivent actuellement une thérapie
ARV alors que 500 000 personnes auraient besoin d’un traitement. En Afrique du Sud, cinq millions de personnes sont séropositives et devront un jour suivre un traitement ARV.

A la recherche d’un traitement moins contraignant

Dès le début, le gouvernement sud-africain s’est montré prudent vis-à-vis de la distribution des traitements ARV, s’engageant dans des débats houleux avec les activistes de la lutte contre le sida.

Tandis que les associations déploraient la lenteur à laquelle les médicaments étaient distribués, le ministère de la Santé déclarait à tort que les ARV étaient toxiques et qu’une bonne alimentation était plus efficace pour traiter un malade séropositif.

Dudu, qui travaille au service VIH/SIDA de la clinique de Nebza de Pinetown, où l’ubhejane est vendu, explique comment administrer le médicament : la bouteille avec le bouchon bleu permet de rendre la charge virale indétectable, celle avec le bouchon blanc accroît le taux de CD4 – plus celui-ci est bas, plus le système immunitaire est affaibli.

L’Ubhejane, le fameux médicament réalisé à partir de 89 herbes différentes, venues de la République démocratique du Congo
Il conseille également aux patients d’arrêter de fumer ou de consommer de l’alcool, de pratiquer l’abstinence sexuelle ou d’utiliser des préservatifs lors du traitement.

Dudu ne donne aucune explication sur la manière dont la mixture fonctionne. En revanche, ce que demandent ses clients c’est s’ils vont retrouver l’appétit et s’ils peuvent arrêter leur traitement ARV.

Cela fait une année que Lindiwe [un nom d’emprunt], 35 ans, suit un traitement ARV. Elle a expliqué qu’elle préférait se faire soigner par la médecine traditionnelle.

«Le traitement ARV est un traitement à vie, et vous devez prendre des médicaments tous les jours … Au moins l’ubhejane fait partie de ma culture et c’est moins contraignant», a-t-elle dit à PlusNews.

Selon le ministère de la Santé, 70 pour cent des Sud-Africains consultent régulièrement des tradipraticiens.

Queen Ntuli, qui pratique la médecine traditionnelle depuis une vingtaine d’années, a expliqué que la communauté les consultait car ils étaient proches de la population.

«Les gens viennent nous voir car ils nous font confiance», a expliqué la guérisseuse, âgée de 40 ans. «Nous vivons avec eux, nous devons notre pouvoir à nos ancêtres. Nous ne nous arrêtons pas à la maladie, nous allons au-delà.»

Bien que la population soit bien informée sur le VIH/SIDA, «les personnes qui prennent déjà des médicaments ARV continuent à venir me voir [pour recevoir un traitement]. Ils redoutent de devoir prendre des ARV à vie et recherchent toujours une manière plus facile [de se soigner] », a précisé Queen Ntuli, membre du Conseil des guérisseurs traditionnels de KwaZulu-Natal.

Elle travaille également à l’école de médecine d’UKZN, où elle enseigne la médecine traditionnelle à des étudiants qui ont suivi une formation dans des pays occidentaux.

Pour elle, le problème est que les médecins traditionnels eux-mêmes ne savent pas toujours comment fonctionne le VIH : tandis que certains pensent vraiment qu’ils peuvent éliminer le virus, d’autres font croire qu’ils peuvent guérir les patients séropositifs.

Queen Ntuli a expliqué qu’un grand nombre de tradipracticiens ne se rendait pas compte que leurs médicaments agissaient uniquement au niveau des symptômes et non au niveau du virus.

Zeblon Gwala, responsable du service VIH/SIDA de la clinique de Nebza, fabrique de l’ubhejane. Il n’est pas tradithérapeute, mais il a indiqué à PlusNews que son grand-père était apparu une nuit, dans ses rêves, pour lui donner la recette de la mixture.

Il a expliqué que sa récente popularité l’avait contraint à veiller tard pour concocter le mélange, écraser les ingrédients à la main et de trouver des bouteilles en plastique supplémentaires. Les 89 herbes différentes nécessaires à la préparation de l’ubhejane poussent en République démocratique du Congo, a-t-il précisé.

Mais Zeblon Gwala dit n’avoir jamais prétendu guérir le sida. Et puisqu’aucun test n’a permis d’attester que les personnes sous ARV pouvaient prendre de l’ubhejane en toute sécurité, il déconseille vivement à ses patients de mélanger les deux traitements.

La science contre la tradition

Le professeur Nceba Gqaleni, vice doyen de l’école de médecine d’UKZN, qui a dirigé les tests précliniques sur la toxicité de l’ubhejane, a admis que le remède pouvait être efficace. Cependant, «lorsque l’on veut commercialiser un produit et le distribuer dans les hôpitaux, on doit faire les choses correctement … on joue sur un autre terrain.»

Le professeur Nceba Gqaleni, qui siège également au Comité d'experts de l'Organisation mondiale de la santé pour la médecine traditionnelle, a reconnu la lenteur de la recherche dans le domaine de la médecine traditionnelle en Afrique. «Nous avons manqué de nombreuses occasions d’étudier [la médecine traditionnelle]», a-t-il souligné.

Faire de la recherche sur la médecine traditionnelle n’est cependant pas une tâche aisée. Le professeur Herbert Vilakazi, qui promeut l’ubhejane aux côtés du professeur Gqaleni, a dénoncé la réglementation des brevets des médicaments, qui selon lui «favorise l’industrie pharmaceutique.»

Queen Ntuli explique que la communauté vient vers les guérisseurs traditionnels parce qu’elle leur fait confiance
«Où pensent-ils trouver des preuves scientifiques ? Surtout que l’on n’a pas l’habitude d’étudier la médecine traditionnelle africaine ou de tester cliniquement les médicaments traditionnels», s’est-il interrogé.

La ministre de la Santé semble partager le point de vue du professeur Herbert Vilakazi.

Elle a annoncé dans un communiqué de presse rendu public en début d’année «qu’une régulation des médecines [complémentaires, alternatives et traditionnelles africaines] permettrait d’éviter que les produits issus de ces médecines ne se retrouvent dans un même cadre que les médicaments pharmaceutiques qui sont testés de manière très différente.»

Pourtant, selon le professeur Nicoli Nattrass, directeur de l’unité de recherche sur la société et le sida à l’université de la ville du Cap, «la position adoptée par le président Mbeki vis-à-vis du VIH/SIDA [a] entraîné l’effritement des autorités scientifiques et de la réglementation des médicaments en Afrique du Sud.»

Pour lui, les scientifiques, dont le Conseil de contrôle des médecines, un organe juridique, «sont, au pis aller, les porte-paroles partiaux de l’industrie pharmaceutique et, dans le meilleur des cas, ils font la promotion des protocoles scientifiques qui ne sont pas adaptés à la médecine traditionnelle ou alternative.»

«Lorsque les patients ne considèrent pas la science comme efficace, ils sont à la merci de charlatans qui vendent des substances qui n’ont pas été testées. Des gouvernements responsables ne devraient pas faire courir ce risque aux personnes malades, notamment en cette période d’épidémie du sida. De trop nombreuses vies sont en jeu», a-t-il conclu dans un récent rapport intitulé ‘Le sida, la science et la gouvernance’.

La médecine traditionnelle doit être «étudiée de façon générale, commercialisée et brevetée», a souligné le professeur Nceba Gqaleni.

Selon le professeur, les informations disponibles sur les effets de la médecine traditionnelles sont insuffisantes.
«Nous devons définir l’ubhejane, sa composition, ses dosages exacts, etc. Il doit être soumis à un véritable examen scientifique», a-t-il expliqué, ajoutant que certains cas avaient démontré des incompatibilités.

Treatment Action Campaign (TAC), une association de lutte contre le VIH/SIDA, souhaite également que toute la lumière soit faite dans le domaine de la médecine traditionnelle.

«Beaucoup de personnes consultent des tradipracticiens, mais elles continuent à mourir du sida. Par conséquent, il faut investir davantage d’argent dans la recherche sur la médecine traditionnelle. Les traitements sûrs et efficaces doivent être répertoriés et les médicaments dangereux doivent être retirés du marché», a précisé TAC.

La classe politique sud-africaine, à laquelle appartient Manto Tshabalala-Msimang, est depuis longtemps en faveur de ‘solutions africaines’ afin de freiner la propagation du sida : les guérisseurs traditionnels sont des acteurs clés du rétablissement des systèmes de connaissances traditionnelles supprimés pendant le régime de l’apartheid.

Nozuko Majola, la vice-présidente de l’organisation non-gouvernementale AIDS Foundation, s’est opposée à l’utilisation abusive de la médecine traditionnelle, notamment lorsqu’il s’agit de cas de personnes vivant avec le VIH/SIDA.

«Nous devons protéger les gens pour éviter qu’ils ne tombent entre les mains de charlatans, nous ne devons pas courir le risque de mettre en jeu le système de santé publique», a-t-elle expliqué. «Les ARV sont efficaces, c’est prouvé. Tous les médicaments doivent passer par les mêmes étapes avant d’être commercialisés.»

[FIN]




 
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