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Dimanche 25 décembre 2005
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TCHAD: «Beaucoup de moral, mademoiselle !»


[Cet article ne représente pas le point de vue des Nations Unies]



©  IRIN

Gisèle Ngamada : "On dit que quand on m’approche, on meurt.»

NDJAMENA, 11 janvier (PLUSNEWS) - Gisèle Ngamada a appris sa séropositivité il y a cinq ans. Cette femme de 36 ans, à qui on a retiré la garde de ses enfants, vit recluse et n’attend plus qu’une chose : rejoindre l’Europe pour être soignée au plus vite.

Gisèle est l’une des rares personnes au Tchad à avoir oser avouer son statut sérologique. Dans ce pays, l’un des plus pauvres d’Afrique où 200 000 personnes vivent avec le VIH/SIDA, les tabous qui entourent le virus et ses modes de transmission sont puissants et peu enfreignent la loi du silence.

«Ici, dès qu’on se rend compte que tu as le sida, tu deviens du coup un sorcier à mille têtes», dit-elle. «En principe, tout le monde est prêt à m’aider mais concrètement… ils ne font rien. Je dois partir en Europe et compter sur les gens qui m’aideront.»

C’est après la mort de son petit ami Emmanuel, un fils de diplomate infecté par le VIH/SIDA, que l’entourage de Gisèle a commencé à s’interroger sur son propre état de santé. Pour plus de discrétion, sa famille l’envoie à Maroua, au Cameroun, à des centaines de kilomètres de la capitale Ndjaména.

«Tous ceux qui étaient présents à la veillée mortuaire d’Emmanuel, en février 1999, savaient qu’il était mort du sida mais on n’en parlait pas. On disait juste que la maladie qui l’avait tué était plus forte que la science», raconte t-elle.

«Du coup, mes parents ont commencé à se poser des questions. Un beau-frère m’a remis 40 000 francs CFA (80 dollars) l’année suivante, pour que j’aille faire un test de dépistage à Maroua. Les résultats ont été positifs. Le médecin m’a dit : «Beaucoup de moral, mademoiselle».

«Trois mois plus tard, j’ai attrapé la tuberculose et ma santé a commencé à se dégrader de jour en jour. Je me sens très faible chaque jour, mais la tuberculose a été guérie rapidement.»

La tuberculose est la principale infection dite ‘opportuniste’, qui se développe sur des organismes affaiblis par le VIH, et la première cause de décès chez les personnes séropositives. Les patients en guérissent si elle est décelée tôt.

Après cette première alerte, Gisèle, trop affaiblie pour travailler, démissionne de son poste de secrétaire dans une entreprise de terrassement à Doba, dans le sud du pays. Sans revenus, elle décide d’informer son entourage de sa situation et de ses besoins : elle doit prendre un traitement antirétroviral (ART), qui prolonge et améliore les conditions de vie des personnes qui vivent avec le sida.

«J’ai réuni mes parents, amis et copines pour leur en parler. Des gens influents ont été d’accord pour m’aider à me soigner. Ils m’ont loué une chambre pour m’éloigner de mes enfants et m’ont donné de l’argent pour mes antirétroviraux. J’ai arrêté de boire la bière sur les conseils de la famille et je ne fais plus l’amour.»

Ses deux filles, aujourd’hui âgées de 10 et 14 ans, ont été placées auprès d’une tante. Elle les voit souvent, à condition de quitter le quartier populaire où elle vit, l’un des plus importants de Ndjaména. Elle y vend de temps en temps de la bière comme lors du «Pari-Vente», une fête qu’elle a organisé en décembre dans un bar de ce quartier animé et qui lui a rapporté 1 000 dollars, de quoi se soigner pendant quelque mois.

Mais ses conditions de vie se dégradent. Elle a perdu la moitié de son poids, près de 50 kilos, et elle a de plus en plus de difficultés à acheter les boîtes de triomine 30, des antirétroviraux qui coûtent 15 000 francs CFA (30 dollars) par mois aux personnes vivant avec le VIH/SIDA.

Pour soulager les populations à faible revenu (le revenu moyen par habitant au Tchad est de 70 cents par mois), les autorités ont annoncé en décembre que les prix des ARV seraient divisés par trois à partir de janvier.

Mais, à en croire Gisèle, cette décision n’a pas encore été appliquée et les quelque 1 500 personnes sous traitement au Tchad continuent d’acheter leurs ARV à des prix prohibitifs.

«Ne pouvant plus me prendre en charge, je suis allée voir les responsables du ministère de la Santé publique. J’ai rencontré le directeur général de l’hôpital et même Aziza Baroud, l’actuelle ministre de la Santé publique. Ils m’ont dit qu’ils allaient prendre mon cas au sérieux, mais depuis… rien.»

Et Gisèle est sceptique quant au rôle que peuvent jouer les associations de lutte contre le VIH/SIDA vis-à-vis des personnes rendues vulnérables par la pandémie.

«J’y suis allée. Ils ont écrit mon nom sur la liste et m’ont fait des promesses qui n’ont jamais été tenues. La plupart de ces associations ont été créées pour faire vivre leurs responsables», affirme t-elle.

Ainsi, à force de demander de l’assistance, «certains parents finissent par me prendre pour quelqu’un de pauvre qui fait le malin pour vivre des aides familiales», explique Gisèle. «En fait, mes parents sont fatigués de m’acheter ces produits et certains commencent à douter de ma séropositivité.»

Elle raconte qu’un médecin et parent de la famille lui a conseillé de refaire un test de dépistage, pour vérifier son statut sérologique. «Il dit que normalement je dois mourir après 10 ans de contamination au VIH parce que je me nourris mal et que je vis dans la chaleur et que ce sont de mauvaises conditions de vie».

Mais pour Gisèle ce qui est le plus difficile à supporter, c’est la stigmatisation et la discrimination envers les personnes qui vivent avec le virus au Tchad.

«Les parents nous fuient, certains refusent de me faire la bise quand je leur tend la joue. C’est dur. Parfois, quand j’invite des gens à ma table, ils refusent de prendre leur repas avec moi. En fait, ils ne comprennent pas comment le VIH/SIDA se propage.»

Gisèle a bien essayé, pourtant, de les sensibiliser aux modes de transmission et de prévention du VIH. Pendant quatre ans, entre 2001 et 2005, lors de séances de sensibilisation dispensées de nuit, dans sa chambre, ses amies séropositives ont reçu conseils et informations pour vivre avec le virus. Mais elle a décidé d’arrêter après la mort de quatre d’entre elles.

«Beaucoup d’amies qui se savent infectées viennent me voir chez moi. Elles veulent des renseignements sur la manière dont je vis ma séropositivité. Elles viennent la nuit parce que pour elles, le sida est une maladie de la honte car elle est liée au sexe.»

«Je leur donne des conseils mais elles n’arrivent pas à supporter leur situation. Depuis 2001, Ndolassoum, Caroline, Juliette et Germaine sont mortes, elles ont refusé de s’alimenter pour vite mourir. Je les comprends et depuis, j’ai cessé toutes mes campagnes.»

En 2004, Malagné, la sœur cadette de Gisèle est allée, elle aussi, se faire dépister. Elle est séropositive.

«Malagné a toujours peur de m’approcher», raconte Gisèle. «C’est parce qu’on dit que quand on m’approche, on meurt.»

[FIN]




 
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